Du temps que les pavés volaient dans l'air opaque
Il y a presque vingt ans, c'était juste après Pâques
A Paris sur la Seine sur mon vélomoteur
Je l'avoue soixante-huit a fait battre mon coeur
Je courais de barricades en barricades
Pour voir comment étaient roulées les camarades
J'ai sauté des maos, brouté des libertaires
Et même des staliniennes au con-centrationnaire.
A minuit délaissant Cohn-Bendit et sa clique,
J'allais me glisser dans le lit d'la femme d'un flic ;
J'avais juste le temps d'enfiler mon calcif
Quand à l'aube il rentrait fourbu de la manif.
Je me rappelle encore d'une blonde spontex
Qui voulait qu'on mette en commune nos deux sexes ;
Pour m'en sortir j'ai dû arguer de la notion
De propriété des outils de production.
Il suffisait d'une petite autocritique
Pour entrer en matière tu disais pathétique :
"J'étais un sale macho, je m'en rends compte ce soir"
Après une heure au plus on était au plumard.
Parfois comme les mœurs étaient très libérales
Pendant nos exercices de voltige coïtale ;
Son mec lisait Proudhon dans la piaule d'à coté
Et le matin il nous apportait du café.
Ma belle voisine qui ne vivait que pour l'amour
Du Pape, de Jésus, et de Marie un beau jour,
Wilhelm Reich à la main, avec un œil de braise
Est entrée chez moi en criant "Quand est-ce qu'on baise?"
J'ai rencontré aussi la femme d'un député
Qui m'faisait la morale devant une tasse de thé
Elle disait "Vous êtes manipulés par la Chine"
En même temps qu'elle me manipulait ... aut' chose.
J'en ai froissé des robes imprimées au Népal,
J'en ai flairé du patchouli et du santal ;
Dans les odeurs d'encens sur fond d'Ravi Shankar
C'était à coups de reins qu'on écrivait l'histoire.
C'est pourquoi aujourd'hui quand dans certains canards
Je lis "Val c'est un nostalgique soixante-huitard",
J'admets qu'ils ont raison mais je me dis tout bas
"Ce n'était qu'un début, continuons le combat"
Du temps que les pavés volaient dans l'air opaque
Il y a presque vingt ans c'était juste après Pâques
A Paris sur la Seine sur mon vélomoteur
Je l'avoue soixante-huit a fait battre mon coeur